09 juillet : Fismes Inauguration d'une tombe de regroupement
Cette tombe de regroupement au cimetière de Fismes à l’initiative du Souvenir Français a du sens parce qu’elle signifie le refus d’oublier nos soldats morts pour la France. Elle nous renvoie aussi au questionnement du Mourir au feu pour son pays durant la Grande Guerre, mais pas seulement, car la Deuxième Guerre mondiale, les guerres de Corée, d’Indochine et d’Algérie et les nombreuses Opérations extérieures auxquelles participent encore aujourd’hui comme au Sahel ou au Levant les armées françaises, attestent l’importance de cette approche face à une question présente dans chaque conflit. Que l’on passe d’une armée longtemps majoritairement de conscription à une armée professionnelle, cela ne modifie la problématique que dans sa dimension. Car servir la France, nos soldats en connaissent le sens. Ils sont habités par le désir de protéger les autres. Ils s’engagent pour des valeurs et des idéaux que certains refusent de regarder.
Jusqu’à la Grande Guerre, seules les dépouilles des chefs étaient en vérité honorées mais ce conflit d’une intensité inouïe et qui a touché chaque famille dans sa chair et dans son sang, a amorcé une revendication mémorielle individualisée au sein de cet océan de souffrances. N’était-ce pas légitime envers ceux dont la photo était encadrée au-dessus de la cheminée ou posée sur le buffet de la pièce de vie ? La rectification ou la reconstruction des paysages ne pouvait pas s’accomplir en traçant un trait sur tous les espaces d’inhumation provisoires où on par commodité on aurait oublié les braves.
Tous ceux qui ont lu « Ceux de 14 », de Maurice Genevoix, sous-lieutenant au 106e régiment d’infanterie de Châlons-sur-Marne à la déclaration de guerre, savent combien il a décrit avec la gravité du soldat et le talent de l’écrivain, ces jeunes vies fauchées sur le front, ces agonies marquées de fierté ou de désespoir, cette étape ni plus mystérieuse ni plus effrayante que toutes les autres de la mort parce qu’elle n’était pas occultée par la société. Si Jean Norton Cru a dit de Genevoix qu’il était « un grand peintre », l’officier s’est fait par sa plume le transmetteur de la vérité brutale des disparitions au champ d’honneur, de ces vies données pour la patrie en témoignage de l’amour qu’on lui porte. Ces vies données face au drapeau exigent un respect et une reconnaissance éternels. Il n’existe pas de mots suffisants pour dire avec toute l’épaisseur d’âme ce que nous leur devons. Ils ont le droit à l’immortalité dans les cœurs.
La mort jalonne l’histoire. Maurice Genevoix, toujours lui, celui que les élèves de ma génération découvrait en dictée au cours moyen, a illustré de ses récits graves et pudiques, cette mort de masse omniprésente, lorsque le poilu enjambe un cadavre où qu’il découvre un corps rapidement enseveli alors qu’on lui ordonne de creuser un nouveau boyau, lorsqu’est établi le bilan quotidien.
Dans ce conflit mais n’est-ce pas aussi la réalité dans ceux qui lui ont succédés, la mort rôde elle est une présence admise mais redoutée, on cherche à l’éviter et certains l’estiment inéluctable. La mort pèse sur la société civile car on apprend vite que le soldat meurt seul foudroyé par une balle, écorché par un éclat d’obus, criblé par de la mitraille, enseveli. Pis, parfois on ne les retrouve jamais.
Bien sûr, ce n’est pas systématique. On cite l’abbé Thibaut qui lorsque le 1er RI quitte son secteur de Champagne en mars 1915 est le dernier à partir : « Il voulait rechercher encore nos derniers morts sur le terrain. Montant sur le parapet seul, il ramena jusqu’à la tranchée, les pauvres dépouilles que les brancardiers emportèrent jusqu’au petit cimetière voisin ». Quand on lit le récit de l’aumônier Thellier de Poncheville qui parcourt les zones des terribles affrontements autour de Verdun en 1916, on mesure sa détermination à accompagner les mourants. Mais il est conscient que nombreux sont ceux qui ne reçoivent ni une parole, ni un sacrement à l’heure du passage.
Lorsqu’à la mort vient d’ajouter l’absence de corps et de sépulture, la douleur est augmentée parce que les familles ont besoin d’un lieu pour se recueillir. Ce besoin de pierres pour se remémorer explique aussi le surgissement des monuments aux morts communaux. Il faut encore entendre les familles de déportés et de soldats de tous les conflits qu’on n’a pas retrouvés. Il leur manque quelque chose, ce lien qui vous inscrit sur la frise de l’inexorable loi du temps, ce repère qui signifie que l’on vient tous de quelqu’un et de quelque part.
Pendant les premières semaines de la Grande Guerre, les pertes ont été très élevées en raison du poids des mentalités anciennes qui ne se sont pas adaptées à la puissance des armes. Ce feu qui tue le mouvement, comme le constate, le sous-lieutenant Robert Porchon, tué aux Eparges en 1915. La mort est là, en cinq mois de 1914, 301 350 soldats morts, 1915 : 348 850, 1916 : 252 300, 1917 : 163 700, 1918, 223 300.
Membre du comité du Souvenir Français de Reims
Administrateur national, Président de la section Marne de l’ANMONM